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«UN DÉTAIL IMMENSE»
Le Museu de Arte Antiga est à la fois le lieu de lexpérimentation
et de la médiation de lexposition. Celle-ci se présente
comme un puzzle «géant» à léchelle
du musée. Ce puzzle est constitué de 70 fragments de la
chapelle «das Albertas» qui constitue le témoignage
architectural et lorigine religieuse du musée. Dans chacune
des 70 salles du musée est présenté un fragment de
la chapelle sous la forme dun livre, mais aussi dun dessin
mural pour les salles du deuxième étage ou dune vitrine
pour les salles du premier étage qui montrent les collections des
objets.
Les livres présentés dans chacune des salles sont construits
selon un principe commun. La couverture présente lun des
70 détails de la chapelle , tandis que la dernière page
présente un fragment de la salle qui suit celle dans laquelle le
livre est montré. Les 70 pages qui constituent chacun de ces livres
déploient 8 lignes à chaque fois différentes du chapitre
5 du livre Requiem dAntonio Tabucchi. Ces 8 lignes (plus précisément
269 caractères dans lédition portugaise) sont agrandies
pour se développer sur la totalité des 70 pages. Dans ce
chapitre, l«auteur» rencontre un peintre copiste dans
le Musée dArt Ancien qui agrandit des détails de la
«Tentation de Saint-Antoine» de Jérôme Bosch.
Le livre constitue donc lélément commun à toute
lexposition, à la fois fragment et «récit»
au sens littéral, mais aussi plus généralement fragment
et récit in situ de lexposition pour les visiteurs.
Les dessins présentés dans les salles du deuxième
étage sinscrivent à léchelle architecturale
et présentent des éléments architecturaux ou mobiliers
de la chapelle. Mais le cadre architectural est (comme pour le livre)
loccasion dintroduire lhistoire et la fiction avec la
représentation de religieuses ou de Sainte Thérèse
dAvila fondatrice de lordre des Carmélites à
laquelle était vouée la chapelle.
Enfin, à létage des objets présentés
sous vitrine, sont exposés des «cabinets de curiosités
numériques» élaborés à partir de limage
générique de la chapelle. «Lhistoire»
convoquée ici nest plus seulement celle du musée dArt
Ancien, mais celle plus générale du musée et de lexposition
à travers la forme du cabinet de curiosité. Jouxtant les
nombreuses vitrines qui comprennent les «merveilles» issues
de «lartifice» humain, elles mettent en scène
ce que jappelle pour loccasion des «curiosités
numériques», cest-à-dire celles obtenues à
partir dune image informatique. Les perspectives d «icosaèdres»
ou les spirales de Jamnitzer (1568) ont pu servir de matrices à
certaines de ces curiosités, mais plus généralement,
la figure de la sphère, de la spirale et plus spécialement
du cône se déploient dans les vitrines comme des formes qui
modélisent à leur façon lespace baroque (Deleuze,
Le pli, page 169 et suivantes). La torsion, la giration, laspiration
démultiplient lespace baroque de la chapelle en rejouant
la tension présente dans le détail pris entre reconnaissance
et abstraction. La projection de limage de la chapelle dans létirement
et la torsion participent dune logique de lanamorphose et
de la catoptrique qui peut être vue comme le prolongement constructif
et déconstructif de la curiosité. Dans certains cas, la
révolution dun solide est montrée dans sa totalité,
mais dans la plupart des cas elle nest quentre aperçue
à travers un détail qui démultiplie la fragmentation
qui est à lorigine du projet.
A
travers cette exposition, on tente de restituer un parcours physique et
narratif dans le musée à partir dune intrigue minimum.
Celle-ci est constituée par la présence de «détails
immenses» pris entre reconnaissance et abstraction, architecture
et fiction ou encore détail et curiosité. En utilisant des
fragment de la chapelle, il sagit de restituer et de projeter lorigine
du musée à travers la totalité de son espace, mais
aussi de désigner le musée comme une somme de détails
séparés de leur contexte et de leur compréhension
première. A la totalité exemplaire de la chapelle, soppose
la fragmentation du musée. Il sagit également de mettre
en abîme la «grille» ou le processus de fragmentation
et dordonnancement du musée à travers celui du dispositif
proposé. Cette mise en abîme sapparente également
à la forme dune boucle, dun dispositif circulaire ou
dune giration comme certaines des curiosités exposées.
Elle est diffractée à travers la forme du livre, du dessin
architectural et de la vitrine comme trois lieux qui exemplifient le musée.
Si le livre ne possède pas la visibilité des oeuvres habituellement
exposés au musée, il en constitue, néanmoins, un
support mnémonique et analytique sous-jacent qui est essentiel.
En dehors de laspect historique qui voit la construction de la collection
et du catalogue comme deux éléments concomitants, la communication
habituelle du contenu et de lordonnancement muséal passe
habituellement par les différentes formes du guide ou du catalogue.
Ici, cette «communication» (qui relève dabord
du déchiffrement matériel du texte et des fragments) est
celle de lexposition proposée et du musée. Mais, cest
aussi, bien entendu et avant tout, laspect fictionnel qui est manifesté
à travers lhistoire du visiteur, protagoniste du livre mais
encore visiteur «réel» de lexposition.
La chapelle exemplifie un lien essentiel entre le musée et son
architecture à travers son histoire qui est celle du lieu. Cette
histoire est celle dun couvent, de sa chapelle et des religieuses
qui lont occupé. Comme toute histoire, elle ménage
la part des faits (pour autant quils en soient disponibles) et une
inévitable reconstruction qui engage souvent une part de fiction.
Cest pourquoi, jai associé à la projection dessinée
de certains éléments de la chapelle, celle de religieuses
et de Sainte Thérèse dAvila. La forme utilisée
ici est empruntée au Bernin. Ce recours à lune des
plus exemplaires figures du baroque est en écho avec lespace
de la chapelle, mais sa transposition sous la forme dun dessin accroît
encore la tension entre le registre quasi-autonome «du pli»
et lémergence dune figure.
Cette relation à lespace baroque est loin dêtre
anecdotique et cest avec surprise et intérêt que jai
découvert, après différentes manipulations tridimensionnelles
et projectives de la chapelle, que la forme conique était proposée
par Gilles Deleuze comme un modèle ou une forme idéelle
du baroque. Cest en effet une liaison naturelle avec lune
des formes privilégiées des curiosités proposées.
Mais, cest aussi peut-être plus simplement, une relation nouée
dès lorigine entre le baroque et la curiosité. On
sait en effet que lorigine du terme «barroco» est emprunté
à une perle de forme irrégulière, bizarre ou curieuse.
Cette relation entre la forme baroque et la curiosité peut sapparenter
également par le biais des textures*-images projetées sur
des solides géométriques, à des images réfléchies
et déformées par la projection qui sont analogues à
des anamorphoses catoptriques. Lanamorphose «redressée»
par la forme dun cône réfléchissant est alors
une autre forme de curiosité qui lie catoptrique, anamorphose et
curiosité. Il sagit toujours de larticulation et de
la désarticulation dun point de vue qui engage la question
de la lisibilité et de la transitivité entre limage
plane et en volume. La question du point de vue et de la lisibilité
apparaît à nouveau à travers le jeu de la proximité
ou de léloignement qui est la façon la plus naturelle
pour résorber ou faire apparaître le détail qui constitue
un paradigme qui traverse lexposition. La relation musée
et architecture à travers histoire et fiction déploie les
figures de religieuses ou de Sainte Thérèse. Cette dernière
empruntée au Bernin peut constituer une sorte damplification
du caractère baroque de la chapelle qui se manifeste également
à travers le jeu des textures-images projetées comme autant
de «curiosités» qui lient par exemple baroque et conique,
conique et catoptrique, catoptrique et curiosité, curiosité
et détail, détail et fragment dans le jeu entre le musée
et larchitecture du Museu de Arte Antiga.* Les textures forment
le cinquième caractère du baroque proposé également
par Deleuze
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